" La personnalité de l’artiste, dans le jazz particulièrement, a évidemment un rôle important dans l’interprétation d’une pièce musicale. Le son, le timbre de la voix ou de l’instrument, le phrasé et l’émotion dégagée, le choix du support rythmique peuvent transformer un thème banal en une pièce d’art intemporelle. Je pense à Strange Fruit par la divine Billie Holiday ou la version d’Autumn Leaves (Les Feuilles mortes) interprétée par Miles Davis.
Il y a dans l’histoire des arts beaucoup d’autres exemples de créations originales totalement inattendues qui doivent leur succès à la liberté d’interprétation.
Si les artistes américains puisent facilement dans le répertoire international, les musiciens français sont trop souvent réticents à exploiter le formidable réservoir de compositions populaires qui, depuis fort longtemps, ont fait et continuent à le faire, le succès de nos artistes.
La grande Édith Piaf, talent immense, avec sa voix déchirante, a su mettre en avant des chansons magnifiques telles que, par exemple, La Foule, La Vie en rose et tant d’autres tout à fait « standardisables », pour autant que nos jazzmen s’orientent vers le choix d’un répertoire un peu plus varié et sans l’arrière-pensée que jazz ne fonctionne qu’avec des « songs » : car songs veut simplement dire chansons ! Mais en anglais !
Le jazz est une interprétation particulière de musiques diverses, et c’est cette jazzification qui détermine la qualité jazzistique de l’oeuvre. Le temps de la levée de boucliers contre les instruments catalogués impropres au jazz : violon, flûte, mandoline, accordéon ou autres instruments ethniques, ainsi que le refus des métriques non 4/4, valse et tant d’autres, est révolu.
Nos amis l’ont bien compris en choisissant le si riche et varié répertoire de Madame Édith, et ils n’ont pas hésité à le cuisiner à leur manière sans retenue ou arrière-pensée vis-à-vis de chefs d’oeuvres inoubliables mais pas inabordables ou intouchables, avec un autre concept souvent assez « latino » ou bien éloigné du tempo original.
J’aime croire que cet état d’esprit ludique qui s’exprime dans cet enregistrement inspirera des musiciens à s’aventurer sur des terrains moins balisés.
DANIEL HUMAIR
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