Anatole France (1844-1924) fut académicien, prix Nobel, et bénéficia, si l’on peut dire, de funérailles nationales ; il fut donc académique, bien pensant et institutionnel : voilà pour le préjugé. Or lire Le Jardin d’Épicure (publié aux éditions Coda), L’Ile des Pingouins, Les Dieux ont soif, Les Désirs de Jean Servien ou Les Opinions de M. Jérôme Coignard, c’est découvrir un écrivain anticonformiste, acéré et ironique, amoureux de l’érudition. Bref, il est temps de redécouvrir Anatole France dont la vision et l’écriture, si elles ne sont pas celles d’un « moderne », sont d’une brûlante actualité.
Vers les Temps meilleurs, paru en 1927, réunit les discours et allocutions prononcés par Anatole France lors de réunions de la Ligue des Droits de l’Homme, de la Libre Pensée ou de diverses associations auxquelles il apporte son soutien et sa contribution. À ses côtés: Jean Jaurès, Rodin, Ferdinand Buisson, Paul Painlevé, Marcelin Berthelot, Francis de Pressensé et tant d’autres. Le style alerte, l’ironie brillante, la hauteur de vue et surtout l’engagement passionné aux côtés de l’intelligence et de la liberté de ce très grand écrivain, n’ont pas pris une ride, témoignant d’un engagement humaniste et socialiste sincère. Ce volume nous fait revivre un homme qui, quoique académicien, fut un combattant laïque et rationaliste, dont la parole prend une importance nouvelle aujourd’hui où les questions mêmes qu’il aborde se posent à nouveau de façon cruciale. En 1904, par exemple, en préambule à l’une de ses passionnantes interventions, il déclare : « Peut-être trouverai-je le moyen d’exprimer quelques vérités utiles sur deux grands sujets qui rentrent dans le programme de notre réunion. Je veux dire la séparation de l’Église et de l’État, et la guerre en Extrême-Orient. »
Sa parole est actuelle : « La grande valeur humaine, c’est l’homme lui-même. Pour mettre en valeur le globe terrestre, il faut d’abord mettre l’homme en valeur. Pour exploiter le sol, les mines, les eaux, toutes les substances et toutes les forces de la planète, il faut l’homme, tout l’homme, l’humanité, toute l’humanité. L’exploitation complète du globe terrestre exige le travail combiné des hommes blancs, jaunes et noirs. En réduisant, en diminuant, en combattant une partie de l’humanité, nous agissons contre nous-mêmes. Notre avantage est que les peuples de toute race et de toute couleur soient puissants, libres et riches. Notre prospérité, notre richesse dépendent de leur richesse et de leur prospérité. Plus ils produiront, plus ils consommeront. Plus ils profiteront de nous ; plus nous profiterons d’eux. Qu’ils jouissent abondamment de notre travail et nous jouirons du leur abondamment. »
Ardent défenseur de la loi laïque de 1905, de la tolérance et de la justice, des universités et des bibliothèques populaires, il fut un artisan infatiguable de la cause du capitaine Dreyfus et de celle de toutes les victimes de l’injustice d’État. C’est, par exemple, aux funérailles d’Émile Zola qu’il lança sa phrase célèbre : « Il fut un moment de la conscience humaine ». C’est dès 1903 qu’il s’élève publiquement contre les crimes de guerre en Arménie.
Son attitude révèle aussi avec flamme ce qui fait parfois défaut aux intellectuels de notre temps : l’absence de calcul, l’authenticité d’une parole sans arrière-pensées. S’il est possible qu’un jour nous nous dirigions « vers les temps meilleurs », Anatole France n’aura pas écrit et n’aura pas été lu en vain. Car comme il le dit en une phrase profonde dans son hommage à Ernest Renan :
« Lentement, mais toujours, l’humanité réalise les rêves des sages. »
Un volume de 170 pages format 15 cm x 21 cm
Attention ! Cette édition n'est pas un fac-similé (plus ou moins médiocre) d'éditions anciennes. Le texte a été entièrement ressaisi et annoté, l'orthographe et la ponctuation ont été modernisées.